4.1.3 - Les caractères ne sont peut-être pas tous issus d'une adaptation

Deux visions contradictoires peuvent être confrontées à cette notion :

  • une structure n'existe que parce qu'elle est "utile" ou au moins l'a été dans un passé proche et donc est nécessairement adaptée. L'adaptation est en même temps le mécanisme d'ajustement des formes (sélection) et le résultat final.

  • certaines structures ont une utilité discutable

La première suggestion est la plus communément partagée. Elle est argumentée par un nombre infini d'exemples reliant la forme et la fonction d'un membre, un comportement et une efficacité de reproduction. Elle fait par contre abstraction des contraintes fonctionnelles, mécaniques, développementales qui régissent l'équilibre global d'un organisme (ce point sera abordé dans le chapitre 6).

Ernst Mayr doutait lui de l'intérêt des bandes présentes en nombre variables sur les coquilles d'un petit escargot appelé Cepaea nemoralis déjà évoqué dans le chapitre sur le polymorphisme. Des démentis lui ont été apportés.

figure 4.4 : L'escargot des bois Cepaea nemoralis, Informations[1]

Cette question a été explorée dès les années 50 en particulier par Cain et Shepard (1954). Leur hypothèse était que les rayures sur la coquille pouvaient jouer un rôle dans la prédation.

Un des prédateurs des escargots en général et de Cepaea nemoralis en particulier est la grive musicienne Turdus philomelos. (fig. 4.5)

figure 4.5 : Grive musicienne (Turdus philomelos)

Cet oiseau utilise une technique particulière pour déloger les escargots de leur coquille : il les frappe sur des objets tels que des pierres ou bouts de bois afin de les casser. Un individu peut avoir ses habitudes auprès de ces objets que l'on nomme "enclumes". Ainsi, on peut trouver au pied d'un caillou une multitude de fragments de coquilles correspondant aux escargots mangés par les grives (fig. 4.6).

figure 4.6 : Pierre utilisée comme enclume par une grive

Ces coquilles constituent donc un excellent échantillon des proies prélevées. La composition de cet échantillon peut alors être comparée à la population locale. C'est ce qu'ont fait Cain et Shepard. Notez que pour cela ils ont dû reconstituer les coquilles cassées afin d'en évaluer le nombre exact ! Les résultats obtenus et publiés en 1954 sont regroupés dans le tableau ci-dessous :

effectifs

des escargots à coquille lignée

de la population totale

pourcentage de coquilles lignées

dans la population locale

264

560

47,1%

parmi les coquilles trouvées auprès des enclumes

486

863

56,3%***

On remarque dans ces résultats que les escargots possédant des bandes sur leurs coquilles sont surreprésentées parmi les proies des grives. Cette différence avec la population locale est statistiquement très significative (***).