6.3.3.2 - Les gènes Pax
La morphogenèse de l'œil a pendant longtemps été un point d'achoppement pour la théorie de l'évolution sur au moins deux points :
sa grande complexité rendait difficile une explication simple de mise en place de cette structure par le jeu successif de retouches et d'étapes
la formation de 2 groupes d’œil différents, constitué par la répétition d'unités similaires comme chez les Insectes (œil à facettes) ou à chambre comme chez les Céphalopodes ou les Vertébrés (œil camérulaire) , constituait une énigme.
Ce sont les travaux de Walter Gehring (fig. 6.51) en Suisse qui ont fortement aidé à la compréhension de la mise en place de cet organe.
Il a observé que des mutations d'un gène de Drosophile induisait la perte de l'œil chez cet animal (fig. 6.52). Ce gène s'est alors appelé eyeless (sans yeux).
De la même façon, l'induction de l'expression de ce gène en dehors des territoires classiques chez la Drosophile (expression ectopique) conduisait à la formation d'œil surnuméraires sur les pattes ou d'autres tissus (fig. 6.53).
Certaines mutations provoquent également une modification du développement de l’œil chez les vertébrés (fig. 6.54).
Le gène de la souris appelé initialement Small eye (petit œil), lorsqu'il est introduit dans le génome de la drosophile provoque l'apparition d'un œil là où il s'exprime. Contre toute attente, cet œil est un œil morphologiquement similaire à celui de la drosophile et non à celui de la souris. Le mêmes résultats sont obtenus avec des gènes de calmar ou de cnidaires. On en a déduit que :
ces gènes sont des orthologues fonctionnels de eyeless
leur rôle est de déterminer l'identité "œil" de la région dans laquelle ils s'expriment mais pas de construire cette structure
Tous ces gènes font partie de la famille des gènes Pax qui sont des facteurs de transcription. Les orthologues de eyeless ont été nommés Pax-6.
Il semble donc que tous les yeux soient sous le contrôle d'un même gène pilote (gène maître, gène architecte) dont l'expression en amont de tous les autres contrôle le développement de l'œil selon un schéma propre à chaque espèce. Cela implique :
une origine évolutive commune et très ancienne de ces gènes architectes
une cascade différente de gènes responsable de la construction de l'organe selon les phyla.
On peut donc envisager une mise en place précoce d'une perception sensorielle au cours de l'histoire évolutive, le maintien d'une fonction de détermination précoce et la mise en place de solutions développementales propres à chaque phylum.
L'existence de structures d’œil très différentes dans le monde animal, longtemps interprétée comme une analogie, pourrait être réinterprétée au moins partiellement comme une homologie fonctionnelle, avec une origine évolutive commune..