6.3.5 - La canalisation
Pour terminer ce chapitre, il convient de définir un concept particulier qui est la canalisation et qui met en lien le développement et l'environnement.
Le lien génotype→ phénotype dépend en partie des conditions environnementales.
On peut imaginer soit :
une réponse continue du génotype aux conditions extérieures (type 1)
une réponse discontinue aux conditions extérieures (type 2)
Dans le premier cas, l'influence de l'environnement sur le caractère des individus est très importante. Des conditions fluctuantes agiront fortement sur la valeur sélective d'un allèle. La remise en cause permanente de l'adaptation d'un génotype apparaît a priori comme plutôt défavorable pour la survie d'une espèce.
Dans le deuxième cas, la réponse du génotype à l'environnement ne se fait que dans les conditions extrêmes. Cela assure une certaine stabilité de la relation génotype/phénotype et donc de l'adaptation des individus.
Tout processus biologique qui assurerait une certaine stabilité des autres fonctions serait a priori favorable. On peut faire l'analogie avec en chimie, le pouvoir tampon de certaines solutions assurant un maintien relatif du pH malgré l'adjonction d'acides ou de bases. Il n'est donc pas impossible que ces mécanismes regroupés sous le terme de canalisation existent.
L'exemple des protéines chaperonnes est une bonne illustration de ce que ce phénomène pourrait contenir comme principe. Leur rôle est de permettre à d'autres protéines de prendre leur conformation fonctionnelle définitive et de protéger celles-ci de chocs thermiques qui pourraient les dénaturer. Il s'agit bien là d'assurer la fonction constante d'une protéine quelque soit le contexte.
De telles adaptations permettraient en retour de rendre inactives certaines mutations. En effet, si des variations des conditions extérieures peuvent être gommées par ces processus de canalisation, ils pourraient tout aussi bien gommer les effets de mutations mineures sur le phénotype.
Exemple : HSP90, un facilitateur d'évolution morphologique ?
Dans un article paru en 1998 dans la revue Nature
[2]
, S. Rutherford et S. Lindquist ont analysé le phénotype de souches de drosophiles dans lesquelles avait été introduit un allèle mutant de la protéine chaperonne Hsp90. Ces souches prélevées dans la nature ou établies en laboratoire depuis longtemps présentaient un phénotype initial homogène. Comme le montre la figure 6.57,« une variation phénotypique affectant presque toute structure adulte est produite »
.
Phénotypes obtenus : a) patte antérieure déformée et 2ème patte transformée avec un peigne sexuel ectopique (flèches) ; b) œil déformé avec une antenne supplémentaire (flèche) ; c) yeux lisses avec des facettes noires ; d) marge de l'œil transformée en scutellum ; e) l’œil gauche à facettes noires ; f) tergites abdominaux désorganisés ; g) petites ailes ; h) tissu étranger se développant hors de la fosse trachéale ; i) yeux absents ; j) marge d'aile se développant dans l'aile ; k) jambes sévèrement déformées ; l) phénotype à facette noire sévère ; m) œil déformé ; n) veines épaissies des ailes ; o) aile transformée et soies scutellaires supplémentaires ; p) ailes crantées ; q) œil déformé.
Ces caractéristiques morphologiques a pu être maintenues dans la descendance ce qui démontre leur origine génétique.
Les modifications de température de culture ou l'utilisation d'un inhibiteur d'Hsp90 (geldanamycine) produisent des effets équivalents.
L'interprétation proposée est que des variations s'accumulent dans les populations mais sont tamponnées par la fonction de Hsp90. Lorsque les conditions changent (mutation de Hsp90, stress etc.), les mutations neutres jusqu'alors se traduisent par des changements morphologiques (fig. 6.58).
Ces mêmes auteurs ont montré qu'un régime de sélection important au cours des générations rendait progressivement certaines nouveautés génétiques indépendantes du contexte Hsp90. Un nouvel état d'équilibre développemental a été fixé.
Deux conclusions s'imposent :
la canalisation semble être un processus effectif
cela fournit un mécanisme plausible pour promouvoir le changement évolutif dans des processus de développement suite à un stress environnemental.