6.3.1 - La récapitulation

Parmi les premiers éléments qui ont étayé l'importance du développement dans la compréhension des processus évolutifs, figure la notion de récapitulation. Cette notion repose sur des observations variées. Tout d'abord, dans la 2ème moitié du XIXème siècle Ernst Heinrich Heckel (médecin allemand) (fig. 6.34) s'intéressa beaucoup à la théorie de l'évolution. A ses yeux, l'observation du développement d'un organisme renseigne sur le positionnement phylogénétique de celui-ci. Une relation est donc possible qu'il a énoncé de la façon suivante :

« l'ontogenèse résume la phylogenèse »

figure 6.34 : Ernst Haeckel en 1860

En d'autres termes, les événements subits par un organisme tout au long de son développement et les morphologies qui en découlent sont autant d'indicateurs de la place de cet organisme dans la classification des êtres vivants. Il s'agit d'embryologie phylogénétique. Son observation est allée plus loin avec l'analyse des enchaînements d'événements. Ainsi, il a constaté que les caractères les plus anciens d'un groupe, sont ceux qui apparaissaient en premier au cours du développement, alors que ceux qui correspondent spécifiquement à une espèce apparaissent lors des étapes tardives. De cette observation est née la notion de récapitulation.

Haeckel a illustré cette observation de façon particulièrement démonstrative en montrant divers stades de développement de plusieurs vertébrés et en soulignant les similarités de structures et de morphologie.

Plusieurs caractères morphologiques sont visibles sur tous les différents embryons (arcs branchiaux, courbure caudale...) et sont progressivement perdu au profit de caractères plus spécifiques.

Les dessins d'Haeckel (fig. 6.35) ont été longtemps soumis à la critique (structures morphologiques exagérées, ressemblances poussées...), mais les observations restent globalement justes.

figure 6.35 : Schémas d'embryologie publiés par E. Haeckel en 1874

En complément de cette observation, Von Baer (1828) a remarqué que les caractères les plus généraux d'un groupe (les plésiomorphies) apparaissaient rapidement durant le développement embryonnaire alors que les caractères spécialisés, propres à l'espèce (les apomorphies) se mettent en place plus tardivement. Pour illustrer cet exemple, la chorde dorsale (retrouvée chez tous les Chordés) est visible dès 4,5 jours de développement chez la souris, alors que les doigts spécifiques des Mammifères ne se voient qu'au 14ème jour de développement chez ce même organisme.

Si la récapitulation peut être observée dans un certains nombre de cas, elle n'est cependant pas une loi générale mais simplement l'une des voies possibles emprunté par l'évolution.

ExempleExemple de récapitulation chez les poissons osteichtiens

Le développement des poissons plats (Pleuronectiformes) se caractérise par la succession de différents stades larvaires dans lesquels on peut observer la transformation progressive de la nageoire caudale (fig. 6.36). Ainsi, le stade précoce est caractérisé par une forme diphycerque de la queue, le stade plus avancé par une forme hétérocerque et enfin les stades tardifs par une forme monocerque qui sera la forme retrouvée chez l'adulte.

figure 6.36 : Transformation progressive de la forme de la nageoire caudale chez la larve de Thysanopsetta naresi , un flet d'Amérique du sud

Une analyse phylogénétique de la forme adulte de la nageoire caudale chez différents poissons osseux montre clairement un lien avec la chronologie du développement décrite ci-dessus (fig. 6.37).

figure 6.37 : Relations de parenté entre différents ostéichtiens et apparition au cours de l'évolution des différents états de la nageoire caudale

La succession des états diphycerque-hétérocerque-monocerque durant le développement correspond à la chronologie d'apparition de ces caractères au cours de l'évolution. Tout se passe comme si la nouveauté apparue au cours de l'évolution consistait en la création d'une étape supplémentaire de développement se produisant à la suite des étapes déjà en place. Stephen J. Gould inventera le terme d"addition terminale" pour décrire ce phénomène (fig. 6.38).

figure 6.38 : L'addition terminale comme hypothèse pour lier développement et phylogénie.

Cet exemple illustre ce que Haeckel décrivait dans sa célèbre formule.