6.3.2 - Les hétérochronies

Ce terme a été introduit par Haeckel (1866) pour caractériser les exemples incompatibles avec sa théorie de la récapitulation. Plutôt que des nouveautés introduites, il s'agirait d'altération du processus de développement ancestral.

Les altérations du développement peuvent concerner la durée de certaines phases développementales ou bien leur vitesse. Il s'en suit des décalages spatiaux ou temporels dans le développement de différents organes, tissus .

La difficulté comme toujours en évolution est de définir objectivement la nature du caractère ancestral et du caractère nouveau. Le choix peut être parfois fait de façon arbitraire, influencé par la vision hiérarchique de complexité du vivant. Des arguments phylogénétiques liés à la notion de parcimonie peuvent aussi être utilisés (voir chapitre 5).

Deux cas de figures peuvent se présenter :

  • La forme, l'aspect, le phénotype en général de l'adulte descendant est très similaire à un stade jeune de l'ancêtre. L'ensemble du développement semble donc être ralenti ou bien raccourci. Il s'agit alors d'une paedomorphose (préservation de caractères juvéniles). On distingue alors :

    • la néoténie : il s'agit d'un ralentissement du développement permettant à la lignée germinale d'arriver à maturité avant les derniers stades.

    • la progenèse ou hypomorphose : il s'agit à l'inverse de l'accélération du développement de la lignée germinale et une atteinte précoce de la maturité sexuelle. Les adultes sont alors généralement de petite taille par rapport aux espèces apparentées.

  • Inversement, les morphologies du descendant vont au-delà, dépassent ce qui est rencontré chez l'ancêtre. Il s'agit alors de péramorphose. On distingue également :

    • l'accélération : la vitesse du développement somatique est augmentée, les formes matures ont un aspect hyper-adulte

    • l'hypermorphose : le temps de développement somatique est allongé en général associé avec un retard de la maturité sexuelle. Les adultes sont en général de grande taille par rapport aux espèces apparentées.

D'autres hétérochronies peuvent être la conséquence, de l'initiation d'une étape clé du développement à un moment différent chez le descendant, il s'agit d'un déplacement :

  • soit avant : pré-déplacement,

  • soit après : post-déplacement.

Exemplel'axolotl

figure 6.39 : L'axolotl, exemple d'hétérochronie (ici un adulte)

L'axolotl est une salamandre d'Amérique du sud appartenant au genre Ambystoma(fig. 6.39). Elle a la particularité de passer l'ensemble de sa vie sous une forme qui correspond au stade larvaire des autres espèces du genre (fig. 6.40).

figure 6.40 : Larve et adulte de Salamandre maculée (Ambystoma maculatum) (auteur : Brian Gratwicke ; source : flickr.com ; licence : creative commons) Informations[1]

Cependant la forme mature de l'axolotl a une taille équivalente à celle de l'adulte des autres ambystomes. L'hypothèse retenue pour expliquer cette paedomorphose est donc celle de la néoténie, un ralentissement de la vitesse de développement de la lignée somatique qui permet l'atteinte de la maturité sexuelle avant la métamorphose.

Chez les urodèles, cette métamorphose est amorcée habituellement par une régression progressive des branchies et le développement des poumons ce qui permettra la vie aérienne de la forme adulte . Ceci se fait sous le contrôle d'hormones thyroïdiennes.

Chez l'axolotl la faible activité des glandes thyroïdiennes expliquerait le retard de développement. D'ailleurs, si cette activité augmente, soit de façon naturelle (diminution de l'humidité, augmentation de la température) soit de façon artificielle (stimulation chimique) alors la transformation en adulte devient possible.

Hypothèse de la néoténie de l'Homme

L'idée que l'Homme serait une espèce néoténique a été suggérée par Louis Bolk un biologiste néerlandais en 1926 [2]. Il se basait entre autre sur la comparaison des jeunes chimpanzés et d’Homme adultes pour rechercher chez ce dernier des caractères juvéniles. Il avait remarqué entre autre que le crâne d'un adulte humain ressemblait à celui d'un jeune singe, que l'absence de pilosité était également un caractère juvénile chez le chimpanzé (fig. 6.41). Cette idée a été réactualisée par Stephen J. Gould dans les années 70' [3]. Elle constitue une base théorique de recherche actuelle, en anthropologie, sociologie ou encore psychologie.

figure 6.41 : Comparaison d'un jeune capucin et des adultes capucin ou humain Informations[4]

La comparaison d'un jeune capucin et d'un adulte de la même espèce montre une transformation progressive du crâne, en particulier le développement d'une mâchoire proéminente. De ce point de vue et considérant le capucin comme représentatif des primates et de leurs ancêtres récents, l'Homme semble avoir conservé un caractère juvénile