1.1.1 - Les premières idées évolutionnistes
L'idée que les êtres vivants n'ont pas été créés tels que nous les connaissons aujourd'hui est une idée ancienne.
On trouve dans l'antiquité grecque :
« Les premiers êtres vivants naquirent de l'humidité et étaient enfermés dans des écorces épineuses. Avec le temps, ils montèrent sur le rivage, et après que leur écorce externe se fut ouverte et fut tombée, ils se mirent rapidement à vivre selon un nouveau mode d'existence. L'homme tout d'abord, naquit d'êtres vivants d'une autre sorte puisque, au contraire des animaux qui peuvent rapidement se mettre à chasser, il demande des soins prolongés durant sa prime enfance. S'il avait commencé dans cet état, il n'aurait pu survivre. Ainsi les hommes prirent-ils d'abord forme à l'intérieur de créatures ressemblant à des poissons, pour y rester à la manière d'embryons jusqu'à ce qu'ils aient atteint leur maturité. Les créatures s'ouvrirent par éclatement, et il en sortit des hommes et des femmes capables de pourvoir par eux-mêmes à leurs besoins. »
Anaximandre de Milet (610-547 av. JC)[1]
et chez les Dogons :
« Ainsi fut créé le monde ; Les premiers couples de jumeaux humains arrivèrent mais n'étaient encore que des poissons pouvant vivre un certain temps hors de l'eau »
une origine de l'homme à partir d'espèces animales aquatiques.
On retrouve cette idée au XVIIIe siècle chez Gottfried Wilhelm Leibniz et Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (fig. 1.1) qui émettent l'hypothèse que la Terre fut jadis entièrement recouverte d'eau et donc peuplée uniquement d'animaux aquatiques. Les espèces terrestres actuelles ne peuvent donc pas avoir été créées telles qu'elles, elles dérivent d'espèces marines.
« La mer couvrait donc toute la Terre et de là vient que tous les bancs ou lits de pierre que l'on trouve dans les plaines sont horizontaux et parallèles entre eux. Les poissons auraient été les plus anciens habitants du globe qui ne pouvait avoir encore ni animaux terrestres ni oiseaux. »
Etienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844) (mémoire de 1716)
Benoît de Maillet écrivit, sous le pseudonyme de Telliamed, que la Terre était initialement couverte d'eau, qu'aux origines la vie était exclusivement aquatique, que les espèces terrestres sont apparues à partir de formes marines qui se sont aventurées hors de l'eau, et que les espèces se transforment chaque fois que des changements environnementaux l'exigent.
« Car il peut arriver [...] que les poissons ailés et volants chassant ou étant chassés dans la mer, emportés du désir de la proie ou de la crainte de la mort, ou bien poussés peut-être à quelques pas du rivage par les vagues qu'excitait une tempête, soient tombés dans des roseaux ou dans des herbages, d'où ensuite il ne leur fut pas possible de reprendre vers la mer l'effort tirés, et qu'en cet état ils aient contracté une plus grande faculté de voler. Alors leurs nageoires n'étant plus baignées des eaux de la mer, se fendirent et se déjetèrent par la sécheresse [...]. Les petites ailerons qu'ils avaient sous le ventre, et qui, comme leurs nageoires, leur avait aidé à se promener dans la mer, devinrent des pieds, et leur servirent à marcher sur la terre »
[2]
Sa réponse aux critiques qui lui furent adressées, selon laquelle « la transformation d'un ver à soie ou d'une chenille en papillon serait mille fois plus difficile à croire que celle des poissons en oiseaux si cette métamorphose ne se faisait chaque jour sous nos yeux »
, est particulièrement pertinente.
Les démarches de Gottfried Wilhelm Leibniz, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire et Benoît de Maillet se distinguaient de celle de leurs contemporains car ils partaient de l'analyse du présent et d'observations pour reconstituer le passé, au lieu de prendre comme axiome le dogme de la création avec une lecture non métaphorique de la Genèse.
Le principal obstacle à l'idée d'évolution en occident était d'origine religieuse. Le christianisme, religion du livre comme le judaïsme, admet que la vérité est révélée par les Saintes Ecritures. Or celles-ci expliquent que le monde a été généré par un Créateur à partir du néant, et ce Créateur y mettra fin. Il s'y ajoutait une conception d'une Terre jeune, comme l'avait calculé l'archevêque James Uscher pour qui elle avait été créée un 29 octobre à 9 h du matin, 4004 ans av. J.C.
Quant à Karl von Linné (1707-1778) (fig. 1.2), il écrivait : « Il y a autant d'espèces que l'être suprême a produit dès le début de formes différentes »
mais il pensait cependant qu'au moins certaines espèces avaient pu apparaître par hybridation entre espèces existantes.
Cette conception permettait d'expliquer chaque caractère biologique par une pensée divine spéciale. C'est la théologie naturelle qui donne un sens aux harmonies de la nature.
« Il n'y a pas moins de convenance dans les formes et les grosseurs des fruits. Il y en a beaucoup qui sont taillés pour la bouche de l'homme, comme les cerises et les prunes ; d'autres pour sa main, comme les poires et les pommes ; d'autres beaucoup plus gros comme les melons, sont divisés par côtes et semblent destinés à être mangés en famille : il y en a même aux Indes, comme le jacq, et chez nous, la citrouille qu'on pourrait partager avec ses voisins »
Bernardin de Saint-Pierre[3]
Mais cette approche d'une création des êtres vivants tels que nous les connaissons n'était pas la règle aux premiers temps de l'église. Si Dieu était bien le Créateur, il y a avait discussion sur la forme de cette création. C'est par la suite que le dogme s'est rigidifié, en particulier lors de périodes où l'église catholique se sentit menacée (période de la réforme par exemple).
« Dans la construction de l'homme, toutes ces dispositions [...] se sont introduites à la suite de notre naissance animale »
Saint Grégoire (335-395)
« La production des êtres vivants ne fut complète dès le début que dans leur principe et leur cause car Dieu ne créa point d'emblée toute la nature »
Saint Augustin (354-430)
Ces croyances s'affaiblirent dès le XVIème siècle à cause :
des découvertes de terres inconnues (Christophe Colomb, Magellan, Vasco de Gama),
de la redécouverte des textes anciens,
du développement de la littérature séculière,
de la révolution scientifique avec le traitement rationnel des problèmes dû à l'essor de la physique qui rendit le surnaturel difficilement acceptable.
Quelques nouveautés favorisèrent l'émergence des idées évolutionnistes :
La cosmologie avec des lois physiques comme celles la gravitation (Nicolas Copernic (1473-1543, Isaac Newton 1642-1727) expliquent le mouvement des planètes donc Dieu n'est plus nécessaire pour faire fonctionner le monde ;
Les télescopes de plus en plus performants amènent à l'idée d'un univers infini dans l'espace mais aussi dans le temps ;
La géologie remet en cause un monde jeune, incompatible avec le temps estimé nécessaire au dépôts des formations sédimentaires et à leur plissement par exemple ;
Les sciences naturelles découvrent des faunes inconnues non citées dans la Bible (Absentes de l'Arche de Noé) ;
Les fossiles sont enfin interprétés comme des restes de faunes disparues, ce qui pose le problème de leur disparition : comment Dieu aurait-il pu détruire une partie de sa création ?