Des faits qui ont renforcé la défiance à l'encontre des acteurs des technologies
La défiance à l'encontre de l'expertise s'est développée récemment à la suite d'affaires sanitaires portant sur un traitement médical (le Médiator, le sang contaminé ou l'hormone de croissance), sur un problème de santé publique (l'amiante, les perturbateurs endocriniens), une catastrophe environnementale (les réacteurs de Fukushima).
Cette défiance résulte aussi, pour partie, d'une véritable planification de la désinformation scientifique, orchestrée par de grandes industries telles que celles du tabac ou de pétrole, depuis une cinquantaine d'années. Le livre de Naomi Oreskes et Eric Conway[1] et celui de Stéphane Foucart[2] en décrivent de nombreux aspects. Par exemple, le financement de la recherche publique est régulièrement mis en cause du fait de sa dépendance vis-à-vis des financements privés. Ce problème affecte l'indépendance de la recherche et participe aussi d'une suspicion à l'encontre de la recherche et de l'expertise publiques.
La défiance résulte aussi de certaines promesses non-tenues du développement technologique : citons par exemple des discours qui évoquaient des promesses pour le traitement ou la mise au point d'un vaccin pour traiter toutes les maladies infectieuses, des promesses d'OGMs pouvant être cultivés en milieu aride ou riche en sel, des promesses de solutions agronomiques pour en finir avec les problèmes de malnutrition. De nombreuses promesses de ce type ne se sont pas réalisées.
Le problème de conséquences indésirables de certaines applications de la science et des technologies mérite aussi d'être posé. Citons ici des pollutions à très long terme de certains lacs, de terres, de mers et de cours d'eau ; l'exploitation inconsidérée de terres en voie de désertification du fait de la déforestation industrielle, l'augmentation du nombre des cancers chez l'enfant, ou encore l'augmentation des problèmes d'allergie dans la population.
A partir de ces graves problèmes sanitaires et environnementaux, une défiance s'est développée à l'encontre d'autres technologies car un amalgame est souvent établi entre elles.
Enfin, mentionnons le problème de dérives dans lesquelles la science a été utilisée à des fins totalement contraires au bien commun : citons la science dévoyée par des généticiens[3] ou des propagandistes nazis, la psychologie qui a été mise au service de l'oppression[4] en Union soviétique, ou encore les nouvelles technologies qui peuvent être mises au service du contrôle des personnes[5] ou la production d'armes biologiques[6].
Dans les médias et sur la toile, les nombreuses marques de défiance nous montrent que des citoyens s'intéressent de près à la probité du scientifique, et à ses éventuels conflits d'intérêts. La suspicion peut aussi porter sur les compétences de l'expert ou sur l'état de ses connaissances du dossier.
Dans ce contexte de défiance, le scientifique qui s'exprime publiquement dans des débats subit parfois cette défiance d'emblée et se retrouve peu ou prou en situation d'accusé. A cette défiance s'ajoute un problème récurrent d'incompréhension entre scientifiques et citoyens : le discours scientifique, même lorsqu'il use d'un lexique simplifié, reste souvent obscur au plus grand nombre, et cette obscurité ouvre à son tour la voie à de nouvelles suspicions.
Exemple : Lorsqu'un médecin saisit l'ampleur de l'affaire du Médiator
Lisez l'article suivant ("27 juillet 2011 : Un article du « Monde » fait saisir l'ampleur de l'« affaire Mediator » à André Grimaldi", Le Monde, 18.08.2014) qui montre bien les conditions dans lesquelles une défiance des citoyens peut apparaître dans une affaire sanitaire.