Une défiance au delà du raisonnable
La défiance qui nous préoccupe ici ne s'oppose pas à une confiance aveugle comme celle d'un enfant qui dort dans les bras de son père. Rien ne justifie une confiance aveugle. Cette défiance s'oppose plutôt à un scepticisme raisonnable, à l'analyse critique des thèses qui se confrontent dans les débats de société. Elle s'oppose à un travail d'enquête sérieux. Et dans certains cas, celui-ci peut mettre à jour des connivences, des manipulations, des affaires de corruption dans certains projets technologiques. Ce scepticisme raisonnable est souvent une attitude saine qui nous oblige à penser et à évaluer les arguments des uns et des autres.
L'attitude défiante peut transformer un doute raisonnable en une suspicion qui semble ne jamais s'estomper.
La défiance étend le champ du doute au-delà du raisonnable : selon les situations, elle pourra aller jusqu'à englober l'ensemble des scientifiques, des experts, des syndicalistes, des politiques, etc. et l'ensemble de leurs discours. Cette défiance à l'encontre des personnes et des institutions ira souvent de pair avec une peur qui s'étendra à l'ensemble des productions d'une technologie donnée, à l'ensemble des OGM, à l'ensemble des nanotechnologies, à l'ensemble des vaccins, etc.
Cette défiance trouve une part de sa force de conviction dans des pratiques contestables et condamnables de scientifiques, d'experts, de responsables politiques, de journalistes dans certaines affaires qui ont été médiatisées. Elle n'est donc pas sans aucun fondement comme peuvent l'être certaines défiances folles qui ont conduit des groupes importants de citoyens à exprimer des positions entièrement irrationnelles (comme dans la rumeur d'Orléans[1]).
Dans certains milieux, la défiance est devenue une posture à la mode. L'ampleur du phénomène peut inquiéter car il accentue l'atomisation de la société, le repli sur soi, la haine de l'autre et finalement la violence civile. Ce climat favorise aussi les attitudes de dénigrement et renforce la suspicion permanente.