2.2.4 - La spéciation sympatrique

Définition

C'est une spéciation à partir de populations d'une espèce qui occupent des aires de répartition qui coïncident au moins partiellement.

Exemplele cas des spartines

Un exemple bien documenté, car suivi au fur et à mesure de sa mise en place, d'une telle spéciation existe chez les spartines (genre Spartina, Poacées = Graminées) (fig. 2.13), une espèce d'angiosperme du littoral (Ainouche et al. 2004).[1] A la fin du XIXe siècle, il n'existait en Europe occidentale qu'une seule espèce de spartine : Spartina maritima.

figure 2.13 : Spartina maritima

En 1829, on observe pour la première fois en Angleterre l'espèce nord américaine Spartina alterniflora où elle est accidentellement introduite par les ballasts des bateaux. En 1870, un hybride stérile entre l'espèce américaine introduite et l'espèce autochtone est observé, Spartina townsendii. En 1892, une forme fertile de l'hybride est découverte. Cet hybride fertile s'avère être polyploïde (2n = 122) alors que le stérile ne l'était pas (2n = 62). Il est nommé Spartina anglica. Des variations existent chez ces hybrides avec des individus à 2n = 120 et 2n = 124. Il s'avéra que cet hybride présentait un doublement de sa garniture chromosomique à la suite du croisement entre les deux espèces de spartine dont les caryotypes diffèrent. En effet, S. alterniflora est à 2n = 62 alors que S. maritima est à 2n = 60. Un hybride devrait normalement posséder 61 chromosomes, 31 venant d'alterniflora et 30 de maritima. Ce nombre impair, avec absence de paires d'homologues, rend la méiose et donc la formation de gamètes impossible, d'où la stérilité. Chez l'hybride fertile, la fertilité a été restaurée par un doublement du nombre de chromosomes par amphiploïdie (voir partie suivante sur la mutation). Chaque chromosome peut alors s'apparier avec son double. L'étude de l'ADN des chloroplastes a montré par la suite que les hybrides possèdent tous l'ADN chloroplastique de alterniflora qui est donc le parent femelle. En effet, lors de la fécondation chez les végétaux, l'hérédité cytoplasmique est généralement femelle. Une hybridation similaire entre les deux espèces de spartine s'est réalisée à la même époque dans le sud-ouest de la France, au Pays Basque, avec là aussi un génome chloroplastique venant de alterniflora.

Spartina anglica, l'espèce hybride, a eu un gros succès écologique car sa niche est plus large que celle des espèces parentes (elle supporte de plus longues périodes de submersion). Elle se multiplie également végétativement par ses rhizomes. Aucun échange de gènes avec les espèces parentes n'a été mis en évidence. On est bien face à une nouvelle espèce (isolement reproducteur et niche écologique sensiblement différente), née par hybridation en sympatrie (fig. 2.14). Elle serait même apparue à la suite d'un unique événement d'hybridation ou tout au moins un nombre très réduit. Elle occupe de nos jours une grande partie de l'Europe et elle a été introduite par l'homme en Chine, Nouvelle-Zélande, Australie, où elle est à présent classée invasive et où des politiques d'éradication ont été mises en place. Salmon et al. (2005)[2] ont montré qu'environ 30 % du profil de méthylation de l'ADN des espèces parentes est altéré chez anglica. Beaucoup de ces changements dans la méthylation sont en partie présents chez l'hybride stérile. La plasticité morphologique et la plus grande amplitude écologique de anglica trouveraient donc leur origine dans des modifications de la régulation épigénétique du fonctionnement des gènes consécutive à l'hybridation qui met en commun deux génomes distincts, et pas dans le doublement du nombre de chromosomes qui lui est consécutif. Cette perte de méthylation de séquences peut supprimer l'inactivation de certains gènes ou, soit réprimer, soit activer des éléments transposables.

d'après Allano L. & Clamens A.[3]

figure 2.1 : spéciation par polyploïdisation des hybrides

L'hybride entre les deux espèces de spartines était normalement stérile car il disposait de deux lots de chromosomes non homologues. Un doublement du nombre de chromosomes (diploïdisation), une mutation survenue au début du développement embryonnaire d'une plante hybride, a conduit à l'existence de deux lots de chromosomes identiques deux à deux et pouvant donc s'apparier en méiose. L'individu n'était donc plus stérile. Par autofécondation, ou reproduction asexuée, il a pu générer des descendants qui d'emblée se trouvaient reproductivement isolés des individus des deux espèces parentes. A partir de là, une divergence plus importante devient possible

Cette spéciation est mal documentée chez les animaux, elle paraît par contre assez fréquente chez les végétaux grâce à plusieurs caractères biologiques plus répandus chez les végétaux que chez les animaux :

  • la reproduction asexuée,

  • la non détermination chromosomique du sexe

  • la non séparation des lignées somatiques et germinales

  • l'autofécondation.