Fonctions des filaments intermédiaires

Par des exemples spécifiques nous illustrons ci-dessous quelques fonctions des filaments intermédiaires.

ExempleMaintien de l'intégrité cellulaire et tissulaire de l'épithélium

Dans la section « le rôle des molécules d'adhérence dans la cohésion tissulaire », ressource « molécules d'adhérence », nous avons déjà montré l'importance du cytosquelette dans le maintien mécanique de la cellule et du tissu. Dans les cellules épithéliales, les filaments intermédiaires sont fortement impliqués dans deux types de jonctions d'ancrage :

  1. desmosome, interaction cellule-cellule, où ils sont liés avec les membres de la famille des cadhérines, et

  2. hémi-desmosome, interaction cellule-lame basale, où ils sont liés aux intégrines ().

Certaines mutations ponctuelles dans les gènes des kératines 5 et 14, fortement exprimés dans la couche cellulaire basale de l'épiderme, causent la désorganisation du réseau de filaments intermédiaires dans ces cellules épithéliales. Cette désorganisation rend les cellules sensibles aux forces mécaniques, si bien que la moindre pression peut rompre la cellule, induisant ainsi l'inflammation et la formation d'ampoules cutanées. Cette fragilité est à l'origine de la maladie appelée « épidermolyse bulleuse » (revoir de la ressource « molécules d'adhérence »).

ExempleSoutien de l'enveloppe nucléaire

Un treillis de filaments intermédiaires, polymères de lamine, qui double la face interne de l'enveloppe nucléaire, forme la lamina nucléaire. Elle soutient l'enveloppe et donne au noyau sa forme généralement globulaire. Pendant la mitose, la lamina nucléaire se désagrège grâce à la phosphorylation des lamines (par un complexe kinasique fait de cyclineB/Cdk1). Sa désintégration permet l'entrée d'un autre type d'élément du cytosquelette, les microtubules, qui, comme on le verra plus tard, participent à la séparation des chromosomes (figure 18 ci-dessous).

Figure 18 - Filaments intermédiaires (lamine) dans le noyau Informations[1]

RemarqueLe vieillissement prématuré et les mutations de la lamine

Depuis 2003, des scientifiques français et américains ont identifié le gène lamine A (lmna) sur le chromosome 1 responsable du vieillissement prématuré des personnes atteintes une maladie appelée progéria. Dans certains cas de cette maladie, on observe une mutation ponctuelle de substitution remplaçant un nucléotide de cytosine par un nucléotide de thymine en position 1824 du gène et cela conduit à un épissage erroné de l'ARNm. Le résultat est une perte de cinquantaine d'acides aminés du coté C-terminal de la protéine. La protéine tronqué est appelé « progérine ». Par conséquence elle n'est pas correctement modifiée (protéolyse partielle) et reste attachée à l'intérieur de l'enveloppe sous forme de monomère. La progérine ne contribue pas à l'élaboration d'un réseau de filaments intermédiaires. Ceci a pour conséquence la déformation du noyau mais encore plus important, un changement de l'expression des gènes. Une protéine initialement considérée comme composant d'un réseau d'échafaudage inerte, porte donc d'autres fonctions dont l'organisation de la chromatine (en affectant la transcription et la réplication de l'ADN). Le mécanisme précis entraînant le vieillissement prématuré reste cependant à élucider. On peut par contre déjà dire que le mécanisme défectueux dans la progéria n'est pas une exacerbation d'un processus de vieillissement normal, mais un mécanisme qui semble complètement différent.

ExempleFormation des ongles, cheveux et couche cornée de la peau

Les filaments de kératine sont formés en excès par les cellules épidermiques (kératinocytes) et les cellules de l'assise génératrice dans le follicule pileux. Cette expression excessive entraîne la mort des cellules qui restent assemblées (par des desmosomes) et qui forment progressivement la couche cornée, un ongle ou un poil (ou un cheveu). Les caractéristiques des filaments intermédiaires, résistance aux tensions et aux détergents, insolubilité dans l'eau, sont donc essentielles pour une bonne défense contre les agressions physiques et chimiques dirigées contre l'organisme entier.

RemarqueFonctions des différentes kératines dans l'épiderme

Dans l'épiderme on observe une expression topographique et chronologique de différents types de kératines. Les couches cellulaires basales expriment les kératines 5 et 14, qui assurent l'intégrité mécanique des cellules, alors que les couches plus superficielles surexpriment les kératines 1 et 10 qui, en envahissant le cytoplasme, conduisent à une cellule cornée morte.

RemarqueKératine et cheveux

  • Le follicule pileux

Le cheveu (et le poil) est une fine structure capillaire constituée de cellules mortes remplies de filaments de kératine et de résidus lipidiques provenant des membranes plasmiques. Les qualités des cheveux reflètent bien celles des filaments de kératine : grande résistance à la tension, flexibilité et insolubilité dans les détergents. Chaque cheveu est produit par un follicule et le cuir chevelu possède environ 150 000 follicules et donc 150 000 cheveux. Les follicules pileux sont constitués d'un bulbe, de la tige du cheveu et de glandes sébacées. Dans le bulbe, c'est une assise génératrice épithéliale (prolongement de celle de l'épiderme) recouvrant une papille dermique mésenchymateuse, qui produit les cellules formant le cheveu (figure 19 ci-dessous). L'assise génératrice contient aussi des mélanocytes qui élaborent de la mélanine sous forme de grains (mélanosomes) qui sont capturés par les cellules épithéliales et sont donc responsables de la couleur du cheveu (eumélanine de couleur sombre et phaeomélanine de couleur claire).

Figure 19 - Follicule pileux Informations[2]

En périphérie du cheveu les cellules sont aplaties et forment la cuticule. En position plus interne, elles sont fusiformes (cortex). Pendant qu'elles sont poussées vers le haut, les cellules corticales produisent de grandes quantités de filaments de kératine. Les filaments de kératine s'assemblent par des ponts disulfures (sur résidus cystéines), ce qui augmente la résistance à la tension et surtout la rigidité du cheveu en croissance.

La localisation et le nombre de ponts disulfures déterminera la forme du cheveu, crépu, frisé, bouclé ou raide. Les fibrilles de kératine sont mélangés à des lipides d'origine membranaire (stérols, céramides et acides gras) qui représentent 3% de la masse totale du cheveu et lui confèrent une bonne imperméabilité. Quand les cellules du cheveu arrivent au niveau de la surface de la peau, elles meurent. Les glandes sébacées associées aux follicules produisent le sébum, mélange de triglycérides, cires et squalènes qui lubrifie le cheveu, préservant ainsi sa souplesse et son éclat. La sécrétion du sébum dépend de l'état hormonal. Trop abondante, elle est à l'origine d'une chevelure lourde et grasse. Lorsqu'elle est trop faible, la chevelure devient sèche et terne.

  • Croissance du cheveu

Le follicule pileux évolue selon plusieurs phases successives appelées anagène, télogène et catagène. La croissance du cheveu est déterminée par l'activité de la papille dermique qui est très forte pendant la phase anagène (papille volumineuse et bien vascularisée), ralentit pendant la phase télogène et disparaît au cours de la phase catagène. Pendant la phase catagène les opérations de brossage ou de lavage provoquent facilement la chute du cheveu. Le follicule pileux peut ultérieurement être réactivé et entamer un autre cycle de croissance remplaçant ainsi le cheveu perdu (figure 20 ci-dessous).

La croissance moyenne du cheveu est environ de 0,35 mm par jour mais varie selon le site d'implantation, l'âge et le sexe de l'individu. La longueur du cheveu est déterminée par celle de la phase anagène. Pour un cheveu, cette longue phase (6-10 ans) conduit à un cheveu d'une longueur de 0,76 – 1,28 m. Pour le poil corporel, la phase anagène ne dure que 1 à 6 mois, conduisant à un poil de 1,0 – 6,3 cm de long.

Figure 20 - Cycle de croissance d'un poil Informations[3]
  • Permanentes et shampooings

    Les ponts disulfures reliant les filaments de kératine peuvent être rompus par réduction chimique. Dans le domaine de la coiffure, on provoque cette rupture par une solution légèrement alcaline appelée « liquide ondulant ». Cette opération est suivie d'une application d'un "liquide fixant », dilution d'H2O2, qui rétablit les ponts disulfures par un processus d'oxydation chimique. Selon le diamètre du support d'enroulement (bigoudi), l'artisan friseur modulera l'ondulation de la chevelure. Ce type de traitement est appelé « permanente » en raison de sa durabilité.

    En plus de leur rôle de nettoyage, les shampooings contiennent souvent des produits qui « volumisent » la chevelure. Associées aux protéines de blé et de soja, ces substances se fixent aux cheveux, leur conférant un surplus de volume. Les shampooings peuvent également contenir des céramides, lipides qui se fixent aux cellules kératinisées mortes, accroissant ainsi la souplesse et l'éclat de la chevelure. Aucun de ces produits ne modifie la croissance et l'intégrité chimique du cheveu.

  • La perte des cheveux due à la chimiothérapie

    En causant l'arrêt de la prolifération cellulaire, la chimiothérapie anticancéreuse s'accompagnera d'un arrêt de la croissance des cheveux. Cependant, on observe en plus une perte des cheveux, appelée alopécie qui s'explique par la fragilisation de l'ancrage du cheveu dans le follicule pileux. Certains patients perdent même leurs cils et sourcils. A l'arrêt de la chimiothérapie, le follicule se réactivera et reconstruira un nouveau cheveu.