Ep. 7 - Stratégies de nutrition des mycètes (2/3)

Episode 7 - Stratégie de nutrition des mycètes (2/3)Informations[1]

Les parasites

La distinction entre champignons parasites et saprophytes n'est pas toujours tranchée. Certains champignons sont parasites pendant une partie de leur cycle biologique et saprophyte pendant une autre (parasites facultatifs). D'autres champignons sont complètement dépendants de leur hôte et ont une activité exclusivement parasitaire (parasites obligatoires). Dans ce cas, il n'est pas possible de les cultiver sur milieux synthétiques en boite de Petri. A l'inverse, certains mycètes sont exclusivement saprophytes. On peut aussi mentionner ici la notion de parasites opportunistes qui s'applique d'ailleurs aussi à d'autres types de micro-organismes, comme les bactéries. Cette stratégie correspond à une forme primitive de parasitisme. Il s'agit d'organismes qui vivent essentiellement comme des saprophytes ou des commensaux, mais qui peuvent devenir pathogène (responsable de maladies) lorsque l'hôte est affaibli. Il est à noter que la grande majorité des mycètes pathogènes de l'homme sont des opportunistes.

Au cours de ces deux dernières décennies le nombre de maladies infectieuses tant chez les animaux que chez les plantes a fortement augmenté. Un nombre sans précédent de maladies fongiques ont récemment provoqué des niveaux de mortalité et parfois des extinctions d'espèces parmi les plus graves jamais observés chez les espèces sauvages, et mettent aussi en péril la sécurité alimentaire.

Les champignons parasites des plantes

Les champignons pathogènes des plantes sont collectivement les espèces qui tirent leurs nutriments des plantes et qui ont un effet négatif sur la santé des plantes. Il est nécessaire de préciser que les champignons sont de redoutables pathogènes des plantes. Quelques éléments le montrent clairement. Collectivement mycètes et pseudo-mycètes sont par exemple responsables de plus de pertes de récoltes que les autres agresseurs des plantes réunis (virus, bactéries, insectes, notamment). Plus de 8 000 espèces sont capables de provoquer des maladies sur plantes, ce qui correspond néanmoins à moins de 10% des champignons connus. On estime que les champignons détruisent chaque année des denrées qui pourraient nourrir 600 millions de personnes. Cela représente des pertes estimées à 50 milliards d'euros au niveau mondial pour le riz, blé et maïs. La protection contre ces attaques de mycètes est donc un enjeu majeur en agriculture, mais cette lutte est coûteuse et n'est pas toujours sans risque pour l'environnement lorsqu'elle se base sur l'application non raisonnée de produits phytosanitaires. Bien évidemment, cette lutte a un coût et cela se répercute sur le prix des denrées alimentaires.

Selon les partenaires végétaux et fongiques, les altérations (qu'on nomme symptômes) sont très diverses dans la forme (pourriture, nécroses, déformations d'organes...) et peuvent se manifester sur divers organes de la plante (racines, tiges, feuilles, fruits jusqu'à la semence parfois). On peut aussi s'arrêter sur ces basidiomycètes généralement bien visibles qui poussent sur les troncs des arbres des forêts et des bois. Beaucoup sont des saprophytes capables de dégrader et recycler la matière végétale et notamment le bois mort. Certains sont néanmoins capables de parasiter des arbres vivants. L'armillaire par exemple peut entrer par les racines et se propager ensuite au tronc entraînant un pourrissement du bois. Certains polypores, comme la langue de bœuf, profitent de blessures sur les arbres pour s'y développer et sont visibles par la production de carpophore en console.

Symptômes typiques provoqués par A. brassicicola sur semences (A), feuille (B) et silique (C) (crédits IRHS, Fungisem).Informations[2]

Comment les champignons s'y prennent-ils pour se nourrir de leurs plantes cibles? Selon les espèces, 3 types de stratégie peuvent être déployés. Il s'agit de la nécrotrophie, l'hémibiotrophie et de la biotrophie. La modalité choisie par le mycète impacte souvent sa gamme d'hôtes (ou ce qu'on appelle aussi son spectre d'hôtes). Ainsi, même si ce n'est pas systématique, un champignon nécrotrophe est souvent plus polyphage c'est à dire capable de coloniser plusieurs variétés de la même famille botanique voir des membres de diverses familles botaniques. Les biotrophes sont souvent plus exclusifs et se spécialisent sur un petit nombre de variétés végétales.

Cycle typique d'un champignon phytopatogène. Les propagules fongiques qui vont initier la colonisation(étape 1) correspond à ce qu'on appelle l'inoculum primaire. Les spores (étape 5) vont se détacher de la nécrose initiale et vont pouvoir se déposer sur une autre plante ou sur un autre organe de la même plante, assurant ainsi la dissémination de la maladie (inoculum secondaire) (schéma adapté à partir de R. Berruyer).Informations[3]

Entre nécrotrophes et biotrophes, si les premières étapes du processus d'infection (attachement, pénétration des tissus hôtes) sont relativement similaires, les principales différences se font sur des phases plus tardives pour extirper les nutriments. Les champignons nécrotrophes infectent les tissus vivants, tuent les cellules hôtes en particulier par l'action de toxines et d'enzymes lytiques puis se nourrissent des tissus morts en quasi-saprophytes. Il est important de faire une distinction entre les véritables agents pathogènes nécrotrophes, qui attaquent et tuent les plantes saines, et les agents pathogènes secondaires qu'on a aussi appelé opportunistes, qui sont de nature saprophytique mais peuvent occasionnellement infecter des plantes qui ont été affaiblies auparavant, par exemple par d'autres agents pathogènes, des blessures ou des effets abiotiques. Chez les nécrotrophes vrais, le spectre d'hôtes est plutôt large ou intermédiaire.

Les biotrophes se nourrissent eux de tissus vivants. Après avoir traversé la surface végétale, ces champignons traversent la paroi des cellules du mésophylle ou de l'épiderme et forment des haustoria (haustorium au singulier), qui sont des structures d'infection uniques servant de suçoirs pour l'acquisition de nutriments. Une fois établis dans les cellules hôtes, les haustoria déploient une série de transporteurs pour acheminer les nutriments (des sucres et des acides aminés notamment) des cellules hôtes infectées vers l'haustorium. En même temps, ils sécrètent également des effecteurs qui suppriment les défenses de l'hôte et maintiennent en vie les cellules envahies. Les biotrophes ont donc une stratégie très différente des nécrotrophes, ils visent à conserver les cellules végétales colonisées en vie le plus longtemps possible pour y détourner les éléments nutritifs. Chez certains biotrophes, cette stratégie nutritive s'est accompagnée d'une disparition de la capacité à se développer hors de leur hôte, ils deviennent biotrophes obligatoires. Pour les biotrophes infectant leurs hôtes, les symptômes ne sont en fait pas ou peu apparents au premier abord. Ils se manifestent surtout par des macules foliaires qui correspondent à des zones de sporulation intense du champignon. Bien évidemment, l'infection par un biotrophe va tout de même se répercuter sur la plante infectée qui est moins vigoureuse et qui verra une réduction de sa biomasse et de sa production.

Les agents pathogènes hémibiotrophes sont des espèces qui combinent des modes de vie biotrophes et nécrotrophes. Elles ont d'abord une phase biotrophe d'une durée variable (quelques jours ou plusieurs semaines) avant de passer à la nécrotrophie. Cette modalité implique une phase initiale qui est médiée par des hyphes biotrophes spéciaux. À la fin de la phase biotrophe transitoire, le champignon subit un changement massif de développement qui permet le passage au mode nécrotrophe avec la différenciation d'hyphes secondaires qui vont sécréter toxines et enzymes de lyse.

Globalement, l'ensemble de ces parasites entraînent des pertes de rendements pour les plantes cultivées et sont aussi une menace pour les plantes non-cultivées des écosystèmes naturels.

La problématique des mycotoxines

Une autre menace que font peser les mycètes phytopathogènes concerne la sécurité alimentaire. En effet certaines souches fongiques sont capables de contaminer des denrées destinées à l'alimentation soit pendant la culture, soit pendant la période de stockage après la récolte. Ces souches produisent des métabolites secondaires particuliers appelés globalement « mycotoxines » qui vont se retrouver dans les denrées alimentaires et qui peuvent avoir des effets délétères à l'égard des animaux et de l'Homme. De très nombreux produits alimentaires destinés aussi bien à l'Homme qu'aux animaux d'élevage sont concerné. Sont particulièrement touchés les céréales mais aussi les fruits, noix, amandes, grains, fourrages...

Les mycotoxines sont généralement thermostables et ne sont pas détruites par les procédés habituels de cuisson et de stérilisation. Ce sont donc de véritables contaminants de la chaîne alimentaire et des produits dérivés. On les retrouve dans la viande, le lait, des jus de pommes, le beurre de cacahuètes ou d'autres préparations alimentaires. Plus de 200 métabolites secondaires ont été décrites comme mycotoxines potentielles et sont sécrétées par plus de 150 espèces de mycètes. Une trentaine de ces métabolites ont des effets toxiques avérés et, actuellement 6 font l'objet d'une réglementation. Ont été établis des protocoles permettant de rechercher ces mycotoxines et des normes pour exclure les denrées dont le niveau de contamination constituerait un danger pour le consommateur.

Généralement ces toxines ne produisent pas d'intoxication aiguë (c'est à dire sans d'effet immédiat) mais favorisent des maladies, comme des cancers ou des troubles de fertilité, qui peuvent apparaître après plusieurs années d'exposition et ce processus chronique rend compliqué l'évaluation de l'impact de ces mycotoxines sur la santé publique.

Ce sont les genres Aspergillus, Penicillium et Fusarium qui possèdent le plus d'espèces sécrétrices de mycotoxines. Une même espèce fongique peut produire différentes toxines. Des espèces différentes peuvent produire une même toxine. Parmi les mycotoxines les plus connues, certaines comme des aflatoxines ou encore l'ochratoxine A sont produites par des espèces du genre Aspergillus et se retrouvent sur diverses denrées. Fusarium produit aussi des mycotoxines très connues, comme les trichotécènes, la zearalénone et les fumonisines notamment au niveau des grains de diverses céréales.

A. Fusariose sur épis de maïs à l'origine de contamination aux fumonisines, B. Sclérotes de Claviceps purpurea, l'agent de l'ergot du seigle.Informations[4]

Enfin, comment parler des mycotoxines sans évoquer un exemple historique : l'ergotisme, une mycotoxicose. Les archives médiévales sont remplies de récits terrifiants relatant de mystérieuses épidémies portant divers noms selon les symptômes observés:  "le mal des ardents », « le feu sacré », « le feu de Saint-Antoine » ou encore « la danse de Saint-Guy".  On sait maintenant que l'absorption alimentaire de produits céréaliers contaminés par le champignon Claviceps purpurea ou ergot du seigle sont à l'origine de l'ergotisme. Ce champignon produit au niveau des épis des structure appelée sclérotes. Ce sont des organes de survie formés par un amas de mycélium qui se charge en mélanine. Lorsqu'il est écrasé par les meules, le sclérote se transforme en poudre rouge passant facilement inaperçue dans la farine de seigle de teinte foncée. Ce sclérote est très riche en composés de type alcaloïde qui sont responsables des symptômes.

Les symptômes sont de différents ordres. Les symptômes convulsifs comprennent des crises de convulsions et des spasmes douloureux, des diarrhées, des maux de tête, des nausées et des vomissements. En plus des convulsions, il peut exister des hallucinations causées par un alcaloïde appelé acide lysergique. Dans le cas de la forme gangréneuse, d'énormes vésicules remplies de sérosité se forment sous la peau, pour se rompre et former des ulcères. Les membres très douloureux se nécrosent aboutissant, le plus souvent, à des mutilations. Cette gangrène sèche est le résultat d'une vasoconstriction induite par des alcaloïdes comme l'ergotamine.

Si ces alcaloïdes sont responsables de toxicités en alimentation humaine et animale, ils ont aussi des usages thérapeutiques, en particulier dans le traitement des crises de migraine. De nos jours, l'ergotisme a disparu comme maladie humaine grâce aux techniques modernes de nettoyage des grains, mais reste une maladie dévastatrice dans le domaine vétérinaire.