Ep. 6 - Stratégies de nutrition des mycètes (1/3)
Les mycètes peuvent opter pour diverses stratégies de nutrition et ainsi obtenir leur ration de nutriments organiques et minéraux. Ces stratégies sont rappelées ci-après et aboutissent dans certains cas à des relations harmonieuses ou tout au contraire tumultueuses avec d'autres organismes vivants.
Le mutualisme fait référence à une association bénéfique entre mycètes et d'autres organismes vivants. Le terme symbiose, qui est parfois utilisé à tort à la place de mutualisme, fait référence, lorsqu'on l'emploie au sens strict définit par De Bary en 1879, à tous types de relation entre organismes vivants, que ces relations soient bénéfiques (du mutualisme donc) ou bien délétères (on parle de parasitisme dans ce cas).
À noter que les stratégies de nutrition ne sont pas toujours strictes. Ainsi, certains saprophytes peuvent également être à un moment de leur cycle de vie des parasites ou des mutualistes, qu'on qualifie de « facultatifs »
Les saprophytes
Mais commençons par la stratégie trophique la plus commune chez les mycètes qui n'impacte pas d'autres organismes vivants : le saprophytisme. Les saprophytes, aussi nommés saprotrophes ou encore saprobes, se nourrissent de la matière morte. Ils sont abondants puisqu'on estime que cela concerne près de la moitié des eumycètes et de nombreux pseudo-mycètes. La différence entre saprophytisme et les autres stratégies trophiques n'est pas absolue: beaucoup de mycètes parasites ou mutualistes ont aussi la capacité de vivre en saprophytes. D'autre part, leur aptitude à se nourrir de matières organiques inertes permet la culture des saprophytes sur des milieux synthétiques en boite de Petri. Les organismes saprophytes jouent un rôle crucial dans la biosphère, ils peuvent en effet être considérés comme de grosses usines d'élimination des déchets. Ils favorisent la décomposition des matières organiques et les renvoient ainsi dans le cycle de la vie.
À titre d'exemple, certains mycètes supérieurs sont les seuls organismes capables de dégrader efficacement la lignine. Ils assurent ainsi l'essentiel du recyclage, sous forme de gaz carbonique, du carbone présent dans la biomasse végétale morte. Ce processus est lent, un tronc d'arbre mettant plusieurs années à être digéré. La production de CO2 ainsi générée est primordiale car sinon les végétaux épuiseraient complètement les CO2 de l'atmosphère en quelques années.

Ces champignons participent aussi à la formation de la couche supérieure des sols en produisant des acides humiques (par dégradation des matières végétales). Ces acides ont la capacité de fixer les sels minéraux et de retenir l'eau : leur présence est donc corrélée à la fertilité des sols. Enfin, les réseaux d'hyphes participent à la structuration des sols notamment en sécrétant des composés qui les collent à leur substrat.

Certains saprophytes se sont aventurés hors des forêts et peuvent être considérés comme néfastes pour les sociétés humaines en dégradant efficacement un grand nombre de matériaux. À commencer par nos denrées alimentaires, il suffit de laisser trainer des aliments pendant plusieurs jours pour s'en apercevoir... (Burger King | The Moldy Whopper). Ces saprophytes posent aussi un problème quand l'objet altéré est irremplaçable. C'est le cas de dégradations de manuscrits anciens dans les bibliothèques ou de peinture rupestre, comme cela a été le cas dans la grotte de Lascaux. Certains, comme Serpula lachrymans, mieux connu sous le nom de mérule, sont particulièrement voraces et peuvent s'attaquer aux divers matériaux des maisons.
D'autres saprophytes ont un appétit restreint et sont capables de croitre en métabolisant des composés volatils, c'est-à-dire en diffusion dans l'air, ce qui leur permet de se développer sur des substrats originaux. À titre d'exemple, certains champignons sont capables de se nourrir des vapeurs d'éthanol et sont très fréquents sur les murs des caves à vin et des distilleries (ils prélèvent ce qu'on appelle la part des anges, cad l'alcool qui disparait lors du vieillissement des spiritueux).
Les mutualistes
Les mycorhizes
Le mutualisme peut être définit comme une interaction bénéfique à tous les partenaires. Les mycètes mutualistes les plus connus sont sans doute les champignons mycorhiziens qui s'associent avec les racines des plantes. À l'origine, il y a plus de 400 millions d'années, des algues ont commencer à quitter le milieu aquatique et à coloniser les terres émergées. Ces algues, ancêtres des plantes actuelles, n'étaient pas équipées de systèmes racinaires performants et on pense que les réseaux mycéliens de champignons ont pu constituer de bons partenaires pour pallier à ce problème. Cette symbiose bénéfique a eu un grand succès évolutif puisque 80 à 90 % des plantes vasculaires terrestres actuelles vivent en association avec des champignons mycorhiziens.
La zone de contact entre la plante et le mycète est appelée mycorhize, il en existe différentes catégories, comme schématisé ici, selon les végétaux et les mycètes impliqués.

Les champignons mycorhiziens puisent assez efficacement dans le sol des ressources en sels minéraux (en particulier du phosphore et de l'azote), des acides aminés et de l'eau. Ces ressources vont profiter en partie au végétal partenaire. En contrepartie la plante fournit de la matière organique au champignon partenaire. On estime que, dans des conditions normales, les champignons mycorhiziens consomment environ 10% des sucres fabriqués par la plante hôte parfois (cette consommation peut aller parfois jusqu'à 40%), ce qui paraît énorme en considérant la masse relative des 2 partenaires. Le réseau mycélien constitue une sorte d'extension aux racines favorisant la prospection des nutriments dans les sols. Les plantes mycorhizées sont donc généralement moins affectées par des épisodes de sécheresse. D'autre part, les champignons mycorhiziens constituent un rempart contre les agresseurs des plantes : bactéries, champignons par exemple mais aussi polluants qui peuvent être absorbés et dégradés par le partenaire fongique.
Une des symbioses mycorhiziennes les plus répandues est l'endomycorhize à arbuscules. Les hyphes présentes dans le sol s'aventurent entre les cellules racinaires puis pénètrent dans les parois des cellules corticales et entrent en contact avec la membrane plasmique végétale sans la traverser. Des structures extrêmement ramifiées vont se former : les arbuscules, qui correspondent en fait à la surface d'échanges de nutriments et d'eau entre les deux partenaires. Souvent, ces champignons produisent aussi au sein des racines des vésicules de stockage des lipides. Ces champignons endomycorhiziens à arbuscules n'ont pas de reproduction sexuée et ne produisent pas de sporophores. En revanche ils produisent des spores asexuées gigantesques (plus de 100 micromètres). Ils ne peuvent survivre à long terme qu'en association avec des racines: on parle de mutualisme obligatoire. Il n'est donc pas possible de les cultiver seuls en boite de Petri sur milieu synthétique.
Une autre mycorhize très répandue est l'ectomycorhize. Ces ectomycorhizes ne concernent que peu de plantes au demeurant (2000 environ), cependant il s'agit des principales essences d'arbres retrouvées dans les forêts tempérées tels que le bouleau, le chêne, l'hètre ou encore le sapin. Les champignons concernés ne sont pas non plus les mêmes que ceux impliquées dans l'endomycorhize à arbuscules. Il s'agit dans ce cas de basidiomycètes majoritairement mais aussi d'ascomycètes. Ils sont en général aussi capables de croître de façon isolée sans interaction avec un hôte. Ce sont là aussi des acteurs bien connus de nos forêts car ils forment généralement des carpophores bien visibles parfois comestibles: bolets, amanites lactaires ou encore les truffes.... Le champignon s'associe d'abord avec les racines les plus fines qu'il va totalement entouré pour former un manchon nommé manteau. Certaines hyphes vont pénétrer à l'intérieur des racines entre les cellules épidermiques et corticales. Ce réseau intercellulaire constitue la surface d'échange entre les partenaires et est appelé réseau de Hartig. Il n'y a pas d'arbuscules dans ce type d'interaction. Souvent, le même champignon est capable de produire des mycorhizes avec diverses espèces végétales. Dans les écosystèmes forestiers, les réseaux mycéliens servent ainsi à connecter les plantes entre elles. Ainsi, des arbres peuvent échanger des ressources nutritionnelles (carbone, azote et eau en particulier) par l'intermédiaire d'un partenaire fongique commun. Ces interactions entre les systèmes racinaires forment un réseau écologique essentiellement souterrain, que certains biologistes ont nommé le wood-wide web (en référence au « World wide web »).
Outre ces deux types de mycorhizes présentés précédemment, il en existe d'autres types moins répandus impliquant d'autres partenaires végétaux et fongiques, notamment celles concernant les orchidées ou encore les Ericacées.
Étant donné les bénéfices importants des mycorhizes pour les plantes associées, il y a un enjeu majeur à pouvoir exploiter ces fertilisants naturels, permettant d'augmenter la productivité des cultures sans compromettre la santé des sols. De nombreux produits à base de mycorhizes sont commercialisés sur divers types de culture. Malheureusement, les associations mycorhiziennes ne sont pas toujours compatibles avec les pratiques de l'agriculture intensive. Elles sont par exemple perturbées par l'usage massif d'engrais chimique, de fongicides ou par le labour profond et répété.
Les lichens
Les lichens constituent une autre symbiose mutualiste impliquant des mycètes. Elle est très répandue bien qu'elle passe souvent assez inaperçue. En ce qui concerne les lichens, l'associations entre les partenaires est poussée à son paroxysme. Il ne s'agit pas simplement de deux êtres qui sont reliés entre eux mais belle et bien d'une association durable de deux (ou plus) entités biologiques qui vont cohabiter et donner naissance à un nouvel organisme composite. À la partie fongique (appelée mycobionte) est associée un ou plusieurs partenaires capable(s) de photosynthèse (le photobionte). Il s'agit soit d'algues eucaryotes (phycobiontes) soit de cyanobactéries procaryotes (cyanobiontes). Les champignons impliqués dans cette symbiose sont très majoritairement des Ascomycètes et leur présence est dominante chez l'organisme composite puisque la biomasse fongique dans un lichen représente 90 à 95%. Ces mycètes sont généralement des symbiotes obligatoires et n'existent pas dans la nature sous une forme isolée contrairement à leur partenaire phycobionte. Après plus de 140 ans durant lesquels on a cru que l'association était binaire (1 champignon + 1 algue), on a récemment montré (2016) qu'il faut en réalité dans la plupart des lichens un troisième partenaire (qu'on avait d'abord cru être un parasite des lichens) pour que l'association soit pérenne. Il s'agit d'une levure basidiomycète dont le rôle n'est pas encore complètement connu mais sa présence, généralement dans la partie plus périphérique du thalle, apparaît corrélée à la forme du thalle du lichens.
Même s'ils sont minoritaires au sein de cette cage de filaments fongiques, les phycobiontes assurent l'essentiel de la survie nutritionnelle des lichens en produisant les composés carbonés grâce à la photosynthèse. Le mycobionte, quant à lui, fournit une protection, de l'eau et des éléments minéraux, il assure aussi la fixation au substrat. Un lichen est typiquement organisé en 3 couches.
.la médulle constituée d'hyphes permet d'appliquer le lichen à son substrat.
.la couche photosynthétique contient un mélange d'algues ou de cyanobactéries et d'hyphes fongiques: site de la photosynthèse.
.le cortex sert de protection et essentiellement d'origine fongique.

Les champignons lichéniques peuvent se reproduire par voie sexuée. Dans ce cas, après rencontre avec un partenaire compatible, il y a formation de fructifications (de type apothécies ou périthèces, cf la reproduction sexuée des mycètes) contenant des méiospores. Une fois hors des fructifications, les spores germent et ces nouveaux thalles filamenteux doivent s'associer avec un photobionte pour former un nouveau lichen. D'autre part, certaines espèces produisent des structures appelées sorédies, équivalentes à des spores asexuées mais qui sont composées à la fois du phycobionte et du mycobionte et qui sont dispersées par le vent.
Les lichens peuvent se rencontrer dans les milieux les plus variés et notamment les plus hostiles. Cela est du notamment à une propriété assez extraordinaire appelée reviviscence. Ils sont capables de passer d'un état hydraté à un état très fortement déshydraté. Cet état est réversible et, si de l'eau est de nouveau disponible, le lichen se réhydrate et relance ses activités métaboliques. Cette propriété peu commune explique que les lichens puissent s'implanter sur des substrats hors-sols (rochers, troncs) mais aussi explique leur extrême sensibilité à la pollution atmosphérique. Leur principale source d'eau est la pluie qui s'acidifie en cas de pollution, ce qui leur est fatal. Ce sont donc de bons indicateurs de pollution de l'air et des effets du changement climatique.
Par ailleurs, grâce à leur autonomie alimentaire et leur forte capacité d'adaptation à diverses contraintes environnementales (températures contrastées, résistances aux métaux (comme le plomb ou le cuivre) et aux rayonnements (que ce soit les UV ou même les rayonnements ionisants), les lichens sont les pionners de la colonisation des substrats peu fréquentables et de niches écologiques particulièrement inhospitalières (on les retrouve présents des toundras du Grand Nord aux déserts les plus chauds, des coulées de laves jusqu'aux mines d'uranium). Leur croissance est particulièrement lente, notamment dans ces environnements hostiles, on parle de quelques mm/an. Néanmoins ils sont doués d'une grande longévité et couvrent environ 8% des terres émergées. Ils jouent un rôle majeur dans certains écosystèmes particulièrement pauvres en ressources nutritives. ils constituent ainsi l'essentiel de la nourriture hivernale des herbivores (rennes, élans...) dans les pays nordiques, et assurent une part de l'alimentation des moutons tout au long de l'année dans le Sahara.
Enfin, les lichens sont aussi connus pour synthétiser des métabolites assez uniques, comme l'acide usnique qui possède des activités antibiotiques, antivirales et antitumorales.
Des associations avec des animaux
Moins visibles que les associations des mycètes avec les plantes, ces interactions avec les animaux ont néanmoins parfois des conséquences considérables. C'est le cas notamment de mycètes (avec d'autres micro-organismes) qui permettent la digestion intracorporelle des végétaux chez des animaux à sang chaud ou à sang froid. Ils sont par exemple présents dans le tube digestif des insectes xylophages ou dans l'estomac des ruminants herbivores. Ils réduisent les débris végétaux en sucres simples. Sans leur intervention, il est impossible pour ces animaux de digérer la lignine et la cellulose, deux composants majeurs des plantes. Ainsi, dans la panse des mammifères ruminants (vache, moutons, girafe...), la digestion de la cellulose est assurée par des mycètes anaérobies obligatoires, les Neocallimastigomycètes (embranchement des Chytridiomycota). Seules les zoospores peuvent survivre à l'extérieur du corps et assurent la dissémination du mycète.
De nombreux insectes sociaux (fourmis et termites) cultivent des champignons. On peut réellement utiliser le terme de culture car ces insectes inoculent des débris végétaux avec des spores fongiques (généralement des basidiomycètes). Tout au long de la croissance des mycètes, les insectes vont renouveler leur source de nourriture, assurer leur hydratation et les protéger contre d'autres insectes ou d'autres champignons contaminants. Les insectes vont ensuite se nourrir à partir des ces champignons domestiques: soit ils récupèrent les produits de dégradation des végétaux, soit ils se nourrissent directement du mycélium. Les plus emblématiques sont sans doute les fourmis (Atta sexdans) d'Amérique centrale et du sud qui découpent et transportent d'énormes morceaux de feuilles ou encore les termites africaines du genre Macrotermes.
Les commensaux
Le commensalisme est une exploitation non-parasitaire d'une espèce vivante par une autre espèce. Le commensal tire profit de l'hôte (en se nourrissant, en s'abritant, en se reproduisant). L'hôte n'obtient en revanche aucune contrepartie évidente de ce dernier. Le commensalisme est donc une association non-destructrice pour l'hôte (ce qui le différencie du parasitisme).
Certains biologistes rejettent le concept de commensalisme, insistant sur le fait que chaque interaction doit avoir un effet sur l'hôte, positif ou négatif, aussi minime soit-il. Néanmoins, certains considèrent comme des commensaux certains champignons présents dans la microflore du corps humain ou bien présents comme épiphytes sur certains organes des plantes comme les graines, et qui ne semblent avoir aucun impact significatif sur leur hôte.
Chez les mycètes, on peut aussi considérer certains endophytes comme des commensaux, notamment chez les plantes. Attention, les endophytes sont fréquents chez les plantes mais ils ne sont pas tous considérés comme de commensaux. Certains peuvent être des parasites, d'autres sont mutualistes. Il existe aussi quelques exemples typiques d'endophytes commensaux chez les animaux notamment des Zygomycètes vivant au niveau des intestins d'insectes ou de crustacés.