Ep. 5 - Le cas particulier des organismes fongiformes

Episode 5 - Le cas particulier des organismes fongiformesInformations[1]

Les phylogénies moléculaires basées sur l'analyse des génomes eucaryotes confirment que les mycètes forment bien un embranchement à part. Il s'agit des Eumycètes (ou Eumycota) qui sont aussi appelés « vrais champignons » et qui proviennent d'ancêtres fongiques.

De plus, l'arbre phylogénétique des eucaryotes sépare des groupes d'organismes qui avaient été regroupés initialement au sein des mycètes sur la base de ressemblances morphologiques. C'est le cas les pseudomycètes (en particulier le groupe des oomycètes) qui sont en fait apparentés aux algues, bien que leur biologie ait beaucoup de points commun avec celle des vrais mycètes. D'autres organismes fongiformes apparentés aux protozoaires peuvent aussi ressembler aux champignons à certaines phases de leur vie, c'est le cas par exemple des myxomycètes. Ces derniers sont par contre phagotrophes mais restent étudier par des mycologues.

Les oomycètes

Plusieurs ressemblances morphologiques ou écologiques existent entre oomycètes et mycètes, ce qui a amené à les confondre à une époque. Tout d'abord, les oomycètes différencient des réseaux d'hyphes assez abondants très similaires à ceux des mycètes. Ces hyphes ne sont pas cloisonnés et ne sont pas capables en général de fusionner les uns avec les autres. Mycètes et oomycètes partagent également leur mode de nutrition par osmotrophie. Enfin ils partagent des traits de vie, beaucoup d'oomycètes sont saprophytes ou parasites (notamment des végétaux).

Il y avait quelques indices qui avaient conduits les naturalistes à s'interroger très tôt sur la place des oomycètes par rapport au règne des mycète. Tout d'abord, quand il a été techniquement possible d'analyser les composants pariétaux, on a pu constater que la paroi des oomycètes contenait majoritairement de la cellulose alors que celle des mycètes est principalement constituée de chitine et de glucane. Une autre différence évidente concerne l'aspect des spores asexuées qui ont la particularité chez les oomycètes de posséder 2 flagelles antérieurs (on parle de zoospores) et sont élaborés dans des sporanges, des sortes de sacs différenciés au niveau du mycélium. Les deux flagelles sont dissemblables : le flagelle postérieur est lisse et l'antérieur est couvert de poils particuliers. Chez les champignons inférieurs (notamment les chytridiomycètes), des spores nageuses peuvent aussi être produites mais, dans ce cas, elles ne possèdent qu'un seul flagelle postérieur. Les flagelles ont par contre été perdu chez les champignons supérieurs.

Zoospore Release - Phytophthora nicotianae
Cycle de vie de Dictyostelium discoideum (d'après Dunn et al., 2018)

Deux éléments essentiels sont à retenir du cycle de vie des oomycètes:

  • la phase diploïde est largement dominante, on parle d'un cycle diplobiontique.

  • si les 2 modalités sexuées et asexuées co-existent, la multiplication asexuée est globalement dominante. Celle-ci est assurée par la production de zoospores qui sont donc diploïdes. Les flagelles permettent à ces zoospores de nager dans l'eau ou de se disperser dans le sol. La zoospore peut aussi se débarrasser de ses flagelles et s'enkyster, c'est-à-dire se munir d'une paroi résistante.

La multiplication sexuée se fait directement, sans participation de zoospores, via des structures, des gamétocystes nommées anthéridies et oogones, produites par l'hyphe et dans lesquelles se déroulent la méiose. Après production de noyaux haploïdes dans chacun des gamétocystes, un tube copulateur (ou siphon) pénètrent l'oogone et permet une fusion des cytoplasmes (ou plasmogamie) suivie d'une fusion des noyaux haploïdes (ou caryogamie) au sein de l'oogone. Les œufs diploïdes ou zygotes formés ainsi s'appellent des oospores et peuvent germer pour produire un mycélium également diploïde.

Si beaucoup d'espèces d'oomycètes vivent en saprophytes dans des milieux humides, souvent en eau douce, certaines espèces sont des parasites d'animaux à sang froid (crustacés et poissons par exemple). C'est le cas d'Aphanomyces astaci à l'origine de la peste de l'écrevisse ou de Saprolegnia parasitica responsables d'atteintes sur poissons. Mais les oomycètes sont surtout connus pour abriter des parasites de plantes cultivées très préjudiciables. Certains oomycètes sont des agents d'une maladie appelée mildiou et qui affectent diverses cultures. Les plus connus sont sans doute Plasmopara viticola sur vigne et Phytophtora infestans sur pomme de terre ou tomate. Le genre Pythium renferme aussi des pathogènes redoutables responsables de fontes de semis, provoquant des dégâts importants sur les jeunes plantes et sur gazon.

Les myxomycètes

Les myxomycètes sont des eucaryotes unicellulaires qui se caractérisent par la formation d'un plasmode (vrai ou pseudo-plasmode). Ils avaient été initialement réunis au sein de l'embranchement des champignons, car leurs cycles de vie comportent une étape de sporulation macroscopique. Ce regroupement s'est en fait avéré polyphylétique, c'est à dire qu'il s'agissait de plusieurs lignées indépendantes de protistes, aucune d'elle n'étant liée aux « champignons vrais » du règne des Fungi. Leur nom est formé de « myxo » qui signifie gélatineux ou gluant, en référence à la texture du plasmode. Ils sont également appelés « champignons amiboïdes » En anglais, on les connaît sous le nom de slime molds (« moisissures visqueuses »). Les principaux représentants du groupe, rebaptisés mycétozoaires (Mycetozoa), font partie de l'embranchement des Amoebozoa. On trouve d'autres myxomycètes disséminés parmi les clades des Excavates, des Stramenopiles et des Rhizaria. Ils restent cependant traditionnellement étudiés par les mycologues, bien qu'il s'agisse plutôt d'« amibes collectives ».

Ces organismes peuvent présenter 3 types de thalle sans paroi selon l'espèce et la phase du cycle de vie:

  • la forme amibe qui correspond à des cellules libres émettant des prolongements de forme changeante, les pseudopodes, qui leur permettent de ramper sur un support ou de capturer des proies microscopiques.

  • le pseudo-plasmode correspond à des agrégations d'amibes par chimiotactisme donnant naissance à une masse mobile capable de sporuler. L'exemple le plus marquant est l'espèce Dictyostelium discoideum. Cette amibe vivant sur les tapis de feuilles mortes dans les forêts, se nourrissant de bactéries et de levures, est utilisée comme organisme modèle de laboratoire. Elle est également appelée « amibe sociale » car elle élabore une structure multicellulaire en cas de carences nutritives. Dans ces conditions, ces amibes libres sécrètent un chimioattractant qui, dans le cas de Dictyostelium discoideum, est l'AMPc. L'agrégation de quelques amibes entraine la formation d'une forte source d'AMPc qui attire les amibes alentour. Après cette phase d'agrégation, les amibes forment un pseudo-plasmode. Ce pseudo-plasmode ressemble à une petite limace, pouvant atteindre quelques millimètres, constitué de milliers d'amibes agglomérées et vivant en société. Ce pseudo-plasmode est mobile et peut persister pendant plusieurs jours à la recherche de conditions favorables. Il se forme ensuite un sporocarpe qui est la fructification du pseudo-plasmode. Ce sporocarpe est constitué d'une tige supportant une boule d'amibes qui se différencient en spores pour se disséminer.

Cycle de vie de Dictyostelium discoideum (d'après Dunn et al., 2018)
Dictyostelium - a Cellular Slime Mold
  • le plasmode : il s'agit d'une cellule parfois géante, polynuclée et sans paroi. Elle est mobile et possède un appétit vorace. Dans la nature, ils vivent généralement à l'intérieur du bois. L'absence de paroi leur permet en effet de se déformer et de progresser dans les morceaux de bois pour se nourrir des proies qu'ils peuvent y trouver. Le plasmode est constitué de réseaux de veines cytoplasmiques qui assurent la distribution des nutriments. Quand les réserves alimentaires sont épuisées, le plasmode entre en phase de reproduction. Des sporocystes (appelés aussi sporocarpes ou myxocarpes) se forment dans le plasmode, la méiose se produit au sein de ces structures et les spores se forment. Les sporocystes se forment habituellement à l'air libre pour que les spores soient dispersées par le vent. Les spores peuvent rester viables pendant des années. Lorsque les conditions environnementales sont favorables à la croissance, les spores germent et libèrent des cellules soit flagellées, soit amiboïdes (stade mobiles). Les cellules fusionnent ensuite pour former un nouveau plasmode. La fusion n'a lieu que si les individus sont de types sexuels différents, ce qui a de grandes chances de se produire puisqu'il en existe 720 différents. Il s'agit là d'un cycle haplodiplobiontique, car les phases haploïde et diploïde sont d'importance approximativement égales. Si les conditions environnementales sont défavorables, il se forme alors un sclérote. Le sclérote est multi-nucléé et constitué de tissus très renforcés servant de stade de dormance, assurant ainsi la protection de l'organisme pendant de longues périodes. Une fois les conditions favorables revenues, le plasmode réapparaît. Pour poursuivre sa quête de nourriture. À noter que les plasmodes et sporocarpes peuvent présenter des morphologies très variées selon les espèces.

Cycle de vie typique des organismes à plasmodeInformations[2]
Formation de sporocarpe sur une souche d'arbre (crédit : T Guillemette)Informations[3]
Plasmode sur une souche d'arbre (crédit : T Guillemette)Informations[4]

Le myxomycète le plus connu se nomme Physarum polycephalum. On le connait surtout par son surnom: le blob. Cet eucaryote unicellulaire peut produire des cellules gigantesques (jusqu'à 10m²) contenant des millions de noyaux et est capable de se déplacer de quelques cm/h. Il est surtout célèbre car il a été démontré que cet organisme, bien que ne possédant pas de cerveau ou de cellules neuronales, était doué de capacité d'apprentissage et de mémoire. En effet, une équipe de recherche du CNRS a montré que P. polycephalum peut non seulement apprendre mais également transmettre les nouvelles informations mémorisées à des congénères.

Le blob trouve des applications en génie civil. Le réseau de veines qui assure la distribution des nutriments n'est pas généré de façon aléatoire mais de manière la plus optimisée pour assurer le lien entre les sources de nourriture. Des chercheurs s'amusent ainsi à déposer l'organisme sur une surface où sont dispersés des points de nourriture (des flocons d'avoine généralement) représentant les différentes villes d'un pays. P. polycephalum crée alors un réseau optimisé entre les sources de nourriture, en reliant de la manière la plus efficace les différentes stations.

Slime Mold Physarum Polycephalum growing on map of France

Le blob est aussi capable de se déplacer dans un labyrinthe d'agar. Quand deux morceaux de nourriture sont placés à chacune des 2 entrées, il explore de nouveau l'ensemble du labyrinthe et va produire des veines pour véhiculer les aliments. Néanmoins seule une veine, la plus optimisée, est capable de persister et correspond toujours au chemin le plus court entre les 2 entrées du labyrinthe. Les autres veines qui ont par exemple exploré des impasses ont disparus. Le blob a une aide secrète, il produit un mucus qui le protège contre la dessiccation mais qui a aussi un rôle répulsif lui évitant d'explorer deux fois la même piste.

Slime Mold Physarum Finds the Shortest Path in a Maze