Ep. 2 - Classification fongique

Episode 2 - Classification fongiqueInformations[1]

Quelle est la position des mycètes dans le monde du vivant?

À la Rennaissance, quand vient le besoin de classer les organismes, les champignons sont considérés comme des plantes avec lesquelles ils partagent l'aptitude à la croissance sans être capable de réagir par des mouvements. Cette classification est encore en vigueur dans la classification binomiale proposée par le célèbre naturaliste suédois Carl von Linné.

Ensuite, la classification a évolué au fil du temps au grès de l'essor des techniques (l'invention du microscope par exemple) et du développement de nouveaux concepts de biologie (la théorie de l'évolution par Darwin par exemple). Haeckel a proposé par exemple une classification en 3 règnes avec l'apparition des protistes qui rassemblaient les organismes unicellulaires. Les champignons étaient répartis principalement entre protistes et plantes. Il a fallu attendre la deuxième partie du XXème siècle pour que les champignons soient individualisés pour la première fois dans un règne bien à eux, celui des Fungi.

En effet, dans la classification proposée par Whittaker en 1969, les champignons constituent alors un des 5 règnes avec celui des animaux, des végétaux, des protistes et des bactéries (Monera). Les principaux critères appliqués pour aboutir à cette classification sont assez simples : le niveau d'organisation cellulaire et le mode de nutrition. Les bactéries sont des organismes procaryotes alors que les champignons sont tous eucaryotes. Les protistes constituaient un taxon, désormais obsolète, renfermant principalement les eucaryotes unicellulaires. Les mycètes s'en distinguent car la majorité est pluricellulaire et d'autre part ils sont généralement capables de différencier des structures particulières spécialisées dans une fonction précise. Il reste le cas des levures qui sont des eucaryotes unicellulaires mais qu'il faut bien classer dans le groupe des mycètes et non parmi les protistes. La distinction entre mycètes et plantes fait principalement intervenir un critère de nutrition puisque que les plantes sont majoritairement autotrophes alors que les mycètes sont hétérotrophes.

Critères de classification proposés par Whittaker

La distinction entre mycètes et animaux fait appel dans la classification de Whittaker à un critère trophique (de nutrition). Actuellement, la plupart des cellules eucaryotes se nourrissent par phagotrophie qui consiste donc à ingérer par phagocytose les éléments nutritifs, étape suivie d'une digestion interne. Les champignons, eux, se nourrissent par absorbtion, on parle d'osmotrophie. Généralement, le mycète produit un arsenal d'enzymes qui sont sécrétées dans le milieu et qui se charge de la digestion externe de matières solides organiques souvent. Les nutriments présents dans le milieu (généralement issus de cette digestion externe) sont transportés (ou encore absorbés) à l'intérieur des cellules fongiques via des transporteurs qui traversent la membrane plasmique. L'osmotrophie est fréquente chez les bactéries, elle est le mode de nutrition exclusif des champignons.

Une conséquence de ce mode de nutrition est que les mycètes dépendent de leur arsenal enzymatique pour se nourrir. Ils ont généralement la capacité à produire toute une gamme d'enzymes avec de forts rendements puis de les sécréter. De la qualité de ce sécrétome dépend aussi la capacité d'un mycète à évoluer dans un environnement donné. Les mycètes présents dans le rumen des herbivores sont par exemple particulièrement bien équipés en enzymes capables de dégrader la lignine, cellulose et hémicellulose, les principaux composant de la matière végétale.

Depuis la fin du XXème siècle, les progrès dans le séquençage des gènes, puis des génomes entiers, conduit à comparer les séquences issues de divers organismes entre elles et permet d'établir des phylogénies moléculaires, cad reconstruire l'histoire évolutive des êtres vivants, identifier des ancêtres communs, en suivant les modifications de leur ADN.

Les analyses moléculaires ont beaucoup fait évoluer la classification des 5 règnes de Whittaker et la classification actuelle n'est d'ailleurs pas encore complètement stabilisée. Il apparait néanmoins que les organismes fongiques forment bien un embranchement à part et apparaissent d'ailleurs plus proches des animaux que des végétaux. Animaux et mycètes sont ainsi regroupés au sein d'un super-règne des Opisthoconthes.

Autre enseignement, l'arbre phylogénétique des eucaryotes sépare des groupes d'organismes qui avaient été regroupés initialement au sein des mycètes sur la base de ressemblances morphologiques. Ainsi, cette classification moléculaire donne naissance à deux lignées :

D'un côté les Eumycètes (ou Eumycota) qui sont aussi appelés « vrais champignons » avec des ancêtres fongiques.

D'un autre côté, les pseudomycètes (en particulier le groupe des Oomycètes) qui sont en fait apparentés aux algues, bien que leur biologie ait beaucoup de points communs avec celle des vrais mycètes. Ces 2 grandes lignées ont notamment en commun d'être osmotrophe et de présenter un thalle filamenteux. Voici un joli cas de convergence évolutive : c'est-à-dire que ces caractéristiques sont apparues indépendamment au cours de l'évolution (autrement dit elles ne proviennent pas d'un ancêtre commun). Cela conduit à une ressemblance superficielle qui incite à regrouper les organismes entre eux sur des critères morphologiques.

D'autres organismes fongiformes apparentés aux protozoaires peuvent aussi ressembler aux champignons à certaines phases de leur vie, c'est le cas par exemple des myxomycètes (groupe qui renferme le désormais célèbre blob) et des plasmodiophoromycètes. Ils sont par contre phagotrophes mais restent étudier par des mycologues.

Arbre phylogénétique des eucaryotes

Les grands groupes fongiques

Chez les Eumycètes, la classification dite historique (cad basées en priorité sur des critères morphologiques, notamment liés à la reproduction) avait retenu 4 groupes principaux : Chytridiomycètes, Zygomycètes, Ascomycètes et Basidiomycètes. Cette classification un peu datée est encore très largement utilisée. La classification moléculaire ou phylogénétique n'a pas retenu l'ensemble de ces 4 embranchements. La classification la plus actuelle (et qui peut encore être amenée à évoluer) reconnait 8 embranchements. Les embranchements des Ascomycota et Basidiomycota ont été conservés. Par contre, les analyses phylogénétiques ont montré que les espèces regroupées au sein du groupe historique des Zygomycètes appartenait en fait à 2 groupes évolutifs et sont donc désormais répartis en deux embranchements nommés Mucormycota et Zoopagomycota. Il en est de même pour le groupe historique des Chytridiomycètes qui a été répartis en 2 embranchements distincts : chytridiomycota et Blastocladiomycota. Enfin 2 nouveaux groupes ont fait leur apparition : les cryptomycota et Microsporidia, pour lesquels on s'interroge encore sur leur appartenance aux Eumycètes. La classification historique, et cela est confirmé par les analyses phylogénétiques, considère que les Ascomycètes et Basidiomycètes représentent les organismes fongiques les plus évolués et sont donc dénommés familièrement « champignons supérieurs ». Ces champignons supérieurs sont aussi appelés Dikarya car ils ont acquis la capacité à avoir une cellule à 2 noyaux lors de létape de fécondation qui intervient lors du processus de reproduction. Par conséquent, les autres groupes fongiques sont qualifiés d'inférieurs.

Représentation schématique du règne des champignons dans l'arbre de vie.Informations[2]

Les Dikarya ou champignons supérieurs sont, de loin, les embranchements regroupant le plus grand nombre d'espèces connues. Ce sont aussi eux qui ont généralement la capacité à produire des sporophores de grande taille, mais ces embranchements renferment aussi des levures unicellulaires, des champignons microscopiques, et des partenaires constitutifs des lichens. Rappelons aussi que la diversité fongique est immense. La diversité génétique au sein d'un seul ordre fongique est équivalente à la diversité au sein des Deuterostomiens (super embranchements regroupant entre autres les poissons, reptiles, oiseaux et mammifères), et il y a plus de 150 ordres fongiques à ce jour !!! La notion de proximité chez les mycètes est donc toute relative.

Même s'il demeure des incertitudes sur le timing précis de l'émergence fongique, les analyses moléculaires montrent que les eumycètes sont apparus il y a 1 milliard d'années à partir d'un ancêtre unicellulaire apparenté à des amibes (c'est-à-dire à des protozoaires phagotrophes). On estime que la transition évolutive des champignons à prédominance aquatique vers les champignons terrestres a eu lieu il y a environ 700 millions d'années avec la perte des spores flagelées Il est aussi important de rappeler ici que champignons et plantes ont établis des liens très étroits tout au long de leur évolution. Sans les champignons, les plantes n'auraient peut-être jamais colonisé la terre. On pense que les premières plantes terrestres sans racines ont évolué à partir d'algues d'eau douce, résolvant le problème de l'obtention d'eau et de rares nutriments minéraux en formant des associations intimes avec des champignons filamenteux vivant dans le sol. Les échanges de minéraux fortifiés par des champignons qui en échange recevaient des produits photosynthétiques végétaux ont probablement permis aux plantes terrestres de dominer les continents il y a 450 Mya, transformant la lithosphère (l'enveloppe extérieure de la Terre), la biosphère (les systèmes vivants de la Terre) et l'atmosphère en ce qu'elles sont aujourd'hui. Ces champignons étaient les ancêtres des actuels champignons endomycorhiziens appartenant au Mucormycota.

L'arbre de vie fongique

L'arbre De Vie FongiqueInformations[3]

La figure montre l'ordre présumé dans lequel les principaux phylums fongiques sont apparus au cours de l'évolution]. Les temps de divergence des branches sont des approximations basées sur des données fossiles et moléculaires, il y a une grande incertitude sur le moment précis de ces événements.

Comme pour l'ensemble du vivant, les différentes espèces fongiques sont groupés en catégories de plus en plus larges. Chacune des catégories est caractérisée par un suffixe.

Par exemple, la levure du boulanger, l'espèce Saccharomyces cerevisiae, appartient à la classe des Saccharomycetes, au sous-embranchement des Saccharomycotina et à l'embranchement des Ascomycota, appelé plus communément ascomycètes en français.

On estime à environ 150 000 le nombre d'espèces fongiques connues à ce jour sur la planète. Parmi elles, environ 30 000 sont sont présentes en France. On caractérise des nouvelles espèces à un rythme actuel d'environ 2 000 par an, principalement des Ascomycètes et des Basidiomycètes.

Les scientifiques estiment que la grande majorité (plus de 93 %) des espèces fongiques sont actuellement inconnues. Selon les dernières estimations, le nombre total d'espèces fongiques sur Terre se situe entre 2,2 et 3,8 millions, un nombre qui dépasse de plus de 6 fois le nombre estimé de plantes. Ces estimations sont basées sur des extrapolations des ratios plantes/champignons complétées par des études de l'ADN d'échantillons environnementaux.

Les espèces nouvellement identifiées (quelques milliers chaque année) produisent parfois des sporophores bien visibles ou peuvent être plus discrètes. Bon nombre des nouvelles espèces ont été trouvées dans des régions et des habitats historiquement peu étudiés (en Chine et Australie notamment), mais il a également été démontré que les régions européennes bien étudiées présentaient une diversité fongique considérable et non documentée. La technologie appelée métagénomique, qui consiste en un séquençage de l'ADN environnemental, permet de rechercher des preuves moléculaires de la présence de champignons dans les sols, l'eau et les particules en suspension dans l'air. Ce type de recherche s'est révélé être une source majeure de taxons potentiellement nouveaux, ce qui confirme l'existence d'une énorme diversité fongique non reconnue. On parle de Dark taxa :les chercheurs possèdent la signature moléculaire des mycètes sans connaitre la plupart de leurs particularités biologiques car on ne sait pas les cultiver et qu'ils se font trop discrets pour être aisément observés.